Sealy

 

 

A la pointe Sud-Ouest de l’angleterre, les Scillies (ou îles Scilly) sont une étape très prisée par les voileux en route vers l’Irlande et par les pinnipèdes qui sillonnent la Mer Celtique. Les premiers se retrouvent au « Mermaid Inn », les seconds dans les Westerns Rocks ou sur les grèves de l’archipel. Sealy vint au monde sur le sable blond de la plus sauvage. Il devait ce sobriquet en forme de calembour à trois kayakistes bretons dont il aimait suivre les esquifs. Entre deux pintes de Guinness, l’un deux avait même bricolé au « Mermaid », un petit couplet sur une mélodie de Michel Berger :

 

 Sealy, il s´appelle Sealy 

Il vit aux Scillies…

 

Bébé, il était aussi blanc qu’un flocon de neige et eut fait fondre de tendresse Madame Brigitte Bardot. Au bout de trois semaines cette parure s’effilocha pour laisser place à un pelage bleu ardoise. Très vite autonome, Sealy vécut de chasse sous-marine. Bars, rougets, cabillauds et dorades se savaient inéluctablement condamnés si leur route croisait celle de ce gourmand. Entre deux plongées, le jeune phoque se frittait avec les copains, lézardait sur une roche ou faisait la planche en ne laissant apparaitre que la pointe de son museau. Á six ans, il avait atteint la maturité sexuelle, mais, victime d’une tradition venue du fond des âges, il ne s’était pas encore déniaisé. 

 

 

Le 10 octobre 2009, étendu sur une grève exposée plein Sud, le jouvenceau profitait des ultra-violets que dispensait encore un somptueux été indien. Un zéphyr anémique ridait à peine la surface des flots. Comme aurait dit Jean de La Fontaine, l’onde était transparente ainsi qu’aux plus jours. Il en sortit une ravissante phoquesse. Elle avait choisi la même plage pour remettre à niveau son stock de vitamines D avant la saison des nuits interminables qui, pour les pinnipèdes, est aussi celle des amours. 

 

Le teint clair et la ligne parfaite, la nouvelle arrivante avait la calme assurance de celles qui ont déjà vu le loup et savent l’effet qu’elles produisent sur leurs contemporains. Sealy fut littéralement fasciné par son voluptueux atterrissage. Dopé par un afflux de testostérone, il ressentit avec véhémence l’urgent besoin de passer à l’acte. Á l’instar du Gorille de Georges Brassens, il se dit in petto : « C’est aujourd’hui qu’j’le perds ! » 

 

« Il parlait de son pucelage. Vous l’avez deviné j’l’espère », ajoutait le Poéte. 

 

Depuis la nuit des temps, les pinnipèdes concluent au terme d’une parade sous-marine à rendre jalouses les ondines de la natation synchronisée. Il convenait donc de persuader la nouvelle arrivante de renoncer à la bronzette et de retourner illico vers les profondeurs. Sealy émit un grognement qu’il espérait enjôleur, se fendit d’une œillade assassine et se dirigea vers l’élément liquide en roulant des mécaniques. Le potentiel érotique de son immersion eût fait pâlir de jalousie les bellâtres de Malibu. Fine mouche, la phoquesse attendit que le museau du jeune mâle emmergeât avant de se la jouer Paméla Anderson. En une pincée de minutes, les tourtereaux furent dans des eaux suffisamment profondes pour y accueillir leurs ébats. 

 

D’abord bon chic, bon genre, la chorégraphie commençait à devenir torride, lorsqu’un gigantesque phoque au pelage anthracite surgit d’un massif de laminaires et se précipita sur le malheureux jouvenceau. Le lecteur aura compris qu’il s’agissait du protecteur de la jolie phoquesse. Le pugilat fut bref et tourna instantanément au désavantage du néophyte. 

 

Avec le temps, ses plaies se cicatrisèrent et notre ami reprit ses chasses sous-marines. Il devint plus gastrolâtre que jamais et doubla de volume. Mais, lorsqu’il prenait le soleil sur les récifs ou qu’il faisait la planche, Sealy était rongé par le spleen. 

 

 

Être borgne et castrat, c’est beaucoup pour un phoque.