Deux sauvetages pour le prix d'un

 

Dans la semaine qui suit le sauvetage du joli misainier, mon héros chercha le moyen de mettre au courant ses copains sans passer pour un frimeur. 

L'irruption de Perrine dans la petite bande compliquait un peu la situation. Michel l'avait repérée sur Internet. Elle cherchait des coéquipiers pour pagayer de temps en temps dans le secteur. Il l'avait invitée à se joindre à nous pour une première balade. Sans la moindre arrière pensée, comme il se doit entre gens bien élevés. Simplement histoire de faire connaissance. 

On connait l'effet que produit une présence féminine sur Félix et ses copains. Sans surprise, la flottille régla son rythme sur celui de la pagayeuse. Nul ne voulant être à l'écart de la conversation, les bateaux étaient presque bord à bord. C'est tout juste s'il restait assez d'espace pour le mouvement des pagaies. Après qu’ils se fussent échangé les banalités d'usage, Michel captiva son auditoire en nous racontant comment il avait tiré d’affaire un véliplanchiste. 

 

– Sans doute un débutant, commença-t-il. Le pauvre s’était laissé piéger dans une toute petite crique. Une dizaine de mètre de large, le double en profondeur. Tout juste une échancrure. Mais le vent portait à la côte et il y avait un peu de ressac. 

– Bien sûr le gus n'avait aucune chance d'en sortir à la voile, intervint Jo. 

– Eh non. Il avait fini par s'asseoir sur sa planche, espérant que quelqu’un passerait dans le coin. Bonne pioche. Je lui ai proposé de le prendre en remorque. Ça n'a pas été évident. On a du s'y prendre à deux fois. J'ai d'abord tracté la voile sur une centaine de mètres, puis ce fut au tour du type, allongé sur sa planche. Je suis resté à proximité jusqu'à ce qu'il reparte. 

Le narrateur jeta un regard en direction de Perrine. 

– Sacré Michel ! commenta Jeff. Tu nous avais caché ça. Modeste comme tous les héros.
– Tu aurais dû faire une vidéo, ou recueillir par écrit le témoignage du bonhomme. Pour la médaille ! 

– C’est ça, fichez-vous de moi.
– Eh bien, moi aussi j'ai sauvé un véliplanchiste et moi aussi je suis resté discret.
– Toi Jo ? C'est tout à ton honneur.
– Je n'aime pas trop rouler des mécaniques.
– Tout le monde le sait Jo, mais peut-être pourrais-tu te violenter un peu pour nous raconter ça.
– C'est bien pour vous faire plaisir.
– Allons, ne nous fait pas languir.

 

À son tour il jeta un regard furtif en direction de Perrine. 

 

– Puisque vous insistez... Ce jour-là, il y avait une jolie brise de terre, au moins quinze nœuds de vent. Je naviguais avec un copain à un demi-mille de la côte. La mer était bleu sombre avec plein de moutons. On a repéré un véliplanchiste qui essayait désespérément de remonter sa voile au tire-veille. Chaque fois qu'il parvenait à la sortir de l'eau, Plouf ! Il chutait en arrière. On s’est tout de suite dérouté pour lui porter assistance. Le type était en maillot de bain et tremblait comme une feuille. Il était tout mauve. On lui a demandé ce qu’il fichait là dans cette tenue. En fait, il n'avait pas bien mesuré les conditions. Près de la plage, à l'abri des dunes tout allait bien. Petit vent, mer plate. Mais au fur et à mesure qu'il s'éloignait, ça fraîchissait et il a commencé à tomber à l'eau. Il a bien essayé de revenir, mais bout au vent, vu son niveau, c'était mission impossible. Il a donc dérivé comme çà jusqu'à ce qu'on le croise. 

– Il faut se méfier du vent de terre, c'est bien connu !
– Il faut croire qu'il n'était pas au courant. On a d'abord refilé au type une polaire et des barres chocolatées pour qu'il ne crève pas d'hypothermie. Puis, pour le tirer de là, on a fait comme Michel. On a dégréé, il en était tout à fait incapable. Ensuite, j'ai pris le gus en remorque allongé sur sa planche, mon copain s'est occupé de la voile, et route terre !
– Avec quinze nœuds de vent dans le nez, ce ne devait pas être évident.
– C'est le moins qu'on puisse dire! Je peux t'assurer que je les ai sentis, mes bras. En plus comme les creux étaient très rapprochés, il y avait sans cesse des rappels. Heureusement, la mer se calmait au fur et à mesure qu'on se rapprochait de la côte. 

– Les gars vous m'épatez, applaudit Perrine. Bravo Jo, bravo Michel. Je ne savais pas que j'avais affaire à une équipe de sauveteurs en mer. 

 

Les deux héros ronronnaient comme des vieux matous. Jeff faisait un peu la tronche. Mon pagayeur prit son petit air modeste. 

 

– Désolé, mais tout le monde n'a pas l'occasion de se porter au secours d'une planche à voile en perdition. 

 

En bon camarade, Michel trouva les mots pour le réconforter.

 

– Patience Félix, tu finiras bien toi aussi par croiser la route de quelque véliplanchiste imprudent qui te permettra de te valoriser.

 

Tout le monde se marra sauf mon kayakiste qui redoubla d'humilité. 

 

– Peut-être. En attendant, savez-vous ce qui m'est arrivé samedi dernier ?