Compas pas con (du tout)

  

Dans la semaine Félix a voulu se faire rembourser son indocile instrument. Mais la garantie ne fonctionnait pas pour ce type de dysfonctionnement. Le vendeur, avec un petit œil narquois, lui a suggéré l’achat d’un manuel de navigation. 

Félix n’a pas beaucoup aimé, mais, pragmatique il a quand même suivi le conseil du spécialiste et le surlendemain : 

– Razkayou, j’ai pigé  ! 

Tiens donc... 

– Ce week-end on retourne aux Chevreaux ! Nos ennuis venaient d'un courant traversier qui sévit dans la zone. Quand la mer monte, il nous entraîne à gauche, vers l’est, quand elle descend c’est l’inverse. L’autre jour elle montait, c’est pour ça qu’on avait l’impression que la balise se décalait sur la droite. Aujourd’hui la mer descend. En principe on devrait être décalés vers l’ouest. Je vais donc viser franchement à l’est de l’objectif. La balise est toujours dans le 195, alors, cap au 160. 

Je n'y ai rien compris mais je n'avais pas d'autre solution que de lui faire confiance. 

 

À la plus grande joie de Félix, les laminaires déployaient leurs longs rubans fauves vers la droite. C’était donc vrai cette histoire de courant traversier. Nous fûmes bientôt à mi-route, toujours au 160 .  Félix était aux anges : 

– Je crois qu’on tient le bon bout, tu as vu cette roche pile poil sur la route ?  Je continue au 160. C’est super, ça fonctionne comme dans le bouquin. 

C’était assez jubilatoire, on était sur la bonne route sans avoir jamais eu l’objectif en ligne de mire. Mais plus on avançait, plus il se rapprochait de mon axe. Mon kayakiste était en train de gagner son pari. 

– C’est génial ! On va bientôt atteindre la balise ! 

Pour arriver sur les Chevreaux on dût infléchir un peu la route au dernier moment mais bon, c’était plutôt pas mal. Félix était aussi fier que s’il avait traversé l’atlantique. 

 

Aux sorties suivantes, il fit route au compas encore deux ou trois fois, histoire de justifier son emplette.


Mais très vite il s’est rendu compte qu’il était plus simple de naviguer à vue. Comme il ne s’éloigne guère de la côte et ne prend la mer que par grand beau temps, on ne voit vraiment pas pourquoi il se compliquerait la vie. Il reste cependant très fier de son magnifique hémisphère. 

 

Cela me donne des allures de kayak au long cours, et pour Félix, il semble que ce soit le plus important.